Il existe une fâcheuse tendance à croire que le bruit est une gêne à la méditation. Un bruit est un son, c’est-à-dire un objet sensoriel, exactement au même titre qu’un autre. Si un bruit est une gêne à la méditation, la sensation extatique d’être plus léger que l’air l’est tout autant ! Avant d’entrer en méditation profonde, il faut être capable de connaître consciemment, directement (donc sans attache ni rejet) et dans l’instant chaque perception, aussi bien le goût du chocolat, une grosse douleur dans les genoux, un sentiment de puissante paix ou un enfant qui hurle de colère.
Le célèbre Ajahn Chah disait à ses disciples qui se plaignaient du bruit :
- Ce n’est pas le bruit qui vous dérange, c’est vous qui dérangez le bruit.
Dans la méditation, la seule chose qui soit gênante en réalité, c’est de ne pas reconnaître un objet sensoriel tel qu’il est, mais de le rejeter, de prétexter qu’il est gênant. Méditer ne signifie pas baigner dans une sérénité céleste. Dans les films ou dans certains de nos fantasmes peut-être, mais pas dans la réalité.
Si un magicien supprimait tout ce qu’un débutant peut croire gênant pour sa méditation, il ne pourrait même plus méditer, car il ne resterait plus rien sur quoi il puisse méditer ! Observer en toute conscience ce qui est désagréable est la méditation. C’est d’ailleurs plus facile que d’observer en toute conscience ce qui est agréable.
Kassinou le détracteur
Alors tous ceux qui bâtissent des monastères dans des lieux silencieux n’ont rien compris ? Vas leur dire !
Tout est question de juste milieu. Méditer, c’est apprendre à dompter son esprit. Pour ce faire, on évite les lieux trop propices à la distraction, on évite les extrêmes. De même qu’on ne médite pas en dansant la salsa, ou avec des enfants qui nous grimpent sur la tête, ou un film devant les yeux, on évitera de méditer au beau milieu d’une foire. À l’opposé, on ne s’attachera pas au silence parfait et on ne s’injectera pas de la morphine.
Par contre, une fois qu’on est prêt à s’absorber en méditation profonde (samatha), le silence rend les choses plus faciles. Cependant, le silence total n’est pas à rechercher pour la méditation de pleine conscience dans l’instant (vipassanā). Dans ce cas, courir après le silence est même une mauvaise habitude. Une fois qu’on sort du monastère, on ne parvient plus à méditer, percevant – à tort – chaque petit bruit comme un obstacle.
Quand la perceuse du voisin fait vibrer tout votre mur de ses forts décibels, réjouissez-vous ! Voilà un objet intéressant à méditer sur. C’est aussi un objet qui peut en cacher d’autres. À vous de les trouver… Si le réflexe est de vous dire « Quel taré ! Il va pas encore me les briser maintenant avec sa perceuse, çui-là ! », cela fait une belle émotion à observer ! Ensuite, si ce son idyllique n’a pas cessé, plongez votre conscience auditive dans le timbre ondulant et polyphonique. Vous verrez qu’il n’a rien à envier de l’harmonie d’une note émise par un instrument de musique. Tout est dans la tête, comme on le dit si bien. Vous arriverez même à regretter que la perceuse s’arrête !
N’oubliez pas la reine de toutes les instructions de méditation (pour le son), donnée par Bouddha lui-même :
- Qu’il n’y ait que l’entendu.
Dès que vous vous plaignez, vous n’êtes plus dans la méditation. Dès que vous observez votre plainte, vous êtes de retour dans la méditation.
De la même façon, si vous avez mal ou chaud :
- Qu’il n’y ait que le ressenti.
Etc.
Le tic-tac de l’horloge envahit la pièce ? N’enlevez pas la pile. Aussi longtemps que vous serez agacé(e), vous ne cesserez pas de l’entendre. En outre, vous ne connaîtrez pas ce son pour ce qu’il est. Si vous acceptez que ce tic-tac reste tout le temps, au bout de quelques secondes seulement, vous ne l’entendrez même plus.
Accueillir le bruit comme un ami vous fera gagner des années de méditation.
Kassinou le détracteur
Bon, alors je vais méditer en musique.
Si tu voulais vraiment méditer, toi, ce serait déjà super ! En tout cas, la distraction est très difficile à éviter, avec la musique. Tu peux facilement rester sur le son d’une touche de piano, Kassinou. Tu distingues son timbre, sa vibration, tu restes juste sur l’entendu. Une deuxième touche, ça va encore. Mais si un pianiste commence à jouer une sonate de Mozart, il y a de grandes chances pour que tu le laisses emporter par la mélodie − que tu l’apprécies ou pas −, tu n’es alors plus dans la réalité.
C’est pourquoi d’ailleurs je décommande vivement ces musiques d’ambiance, soi-disant "musique méditative". Un enregistrement de cascades d’eau ou de vagues qui s’échouent, à la rigueur, mais l’idéal reste les sons qui nous entourent "naturellement", même si ce sont des machines.
On peut faire un parallèle entre les objets auditifs et mentaux. Le timbre unique d’une touche de piano est comme une pensée unique, qu’on peut connaître tel quel. Une sonate, par contre, est comme un flot de pensées, qui nous projette dans l’illusion.